Les Lobbies en Europe
Tandis que l'OMC, le FMI et la Banque mondiale sont devenus les coupables emblématiques de ceux qui font le procès de la
mondialisation, d'autres institutions tirent les ficelles de l'avenir politique
et économique européen, à l'abri des lumières médiatiques. Cela leur est
d'autant plus facile que de nos jours, nos hommes politiques sont plus
prolixes lorsqu'il s'agit de débattre sur certaines émissions télévisées que
lorsqu'on leur demande leur avis sur l'avenir de l'Europe. Mais si à cette absence
de réflexion on vient ajouter une information sélective, alors les conditions dans
lesquelles sont prises les décisions, et les décisions elles-mêmes, risquent
de nuire à l'intérêt général. Peu importe les effets secondaires des
politiques, pourvu que les positions des institutions s'alignent sur la volonté des
commanditaires : tel est le credo des lobbies.
Dysfonctionnement des institutions
Parlement européen à Strasbourg
La présence des bureaux d'étude, des cabinets de conseil, des agences de relations publiques, en un mot, des lobbies, aux proches abords des organes de décision européens est bien évidemment le reflet du déficit démocratique des institutions. Cette présence prend réellement forme à la fin des années 80 par le biais du dysfonctionnement d'une construction européenne qui s'est d'abord voulue économique. On risque de payer cher l'antienne habituelle qui voudrait la libéralisation du commerce précède la liberté des individus, arguments justifiant les rapports économiques de pays comme la France avec d'autres comme la Chine.
Le but de la libéralisation n'est autre que la déréglementation du marché.
Cette dernière ne peut qu'engendrer une concurrence effrénée qui est
préjudiciable d'une part aux salaires, et d'autre part aux protections
sociales et écologiques. Du même coup elle met sur le banc de touche l'État
providence qui se voit dépossédé de ses moyens par la mise en place
progressive d'accords livrés clef en main par les bureaux d'études des
multinationales. Le contrôle de la Commission européenne et du Conseil
des ministres par les parlements européens et nationaux est déficient,
ce qui laisse une voie naturelle aux lobbies industriels qui, par la
puissance de leur réseau d'information, orientent la politique européenne
à leur avantage. Plus de 10 000 professionnels, plus de 200 firmes
et plus de 500 groupes de pression font le siège des instances
dirigeantes à Bruxelles. Vous comprendrez donc que l'on ne s'intéresse
qu'aux plus influents des groupements dans les lignes qui suivent.
L'ERT (European Round Table)
La
Table
ronde des industriels européens, fondée en 1983, est composée de 45 dirigeants des plus grandes
entreprises européennes qui emploient 4 millions de personnes à travers
le monde. Cette agence a été à l'origine d'autre groupe
de pression comme le Centre européen pour les études d'infrastructures
(
ECIS) ou l'association pour l'union monétaire européenne (
AUME).
Son action fut renforcée par la mise en place en 1995 du premier Groupe consultatif de
compétitivité (
CCG) avec la bénédiction du président de la
Commission,
Jacques Santer.
Les membres de l'
ERT sont
fréquemment représentés dans les groupes de travail de la commission
tel que le
CCG, qui se charge de faire des rapports au président
de la Commission et aux chefs d'État et de gouvernement.
Le
site
internet du CCG nous apprend que "
son objectif
n'est pas
de produire des études ou des analyses politiques " mais de "
préconiser (...) des politiques à mettre
en oeuvre ". On ne glose pas, on agit ! Alors que le premier
groupe
consultatif sur la compétitivité (1995-1997) était formé de membres dont
certains étaient directement liés à l'
ERT, on constate que le second
(1997-1999), qui totalise treize personnes, se décompose essentiellement en
représentant du monde de l'entreprise ou des milieux bancaires. Seulement deux
délégués des syndicats sont présents, et aucune voix ne peut se faire
entendre pour rappeler à ces décideurs de l'ombre la cause écologique. La
position de l'
ERT sur cette dernière se reflète dans un rapport
préparatoire au sommet de Kyoto (troisième conférence des Partis de la
Convention structurelle de l'
ONU sur les changements climatiques en
décembre 1997) où l'on préconise, pour stabiliser les concentrations de gaz
responsables de l'effet de serre, "
une plus
grande utilisation du nucléaire en tant que source d'énergie sans gaz
carbonique1 " ...
Le Livre blanc de Jacques Delors,
devenu la base de l'Acte unique européen de 1986, était la copie conforme du
rapport de l'ERT " Europe 1990 : un agenda pour l'action ". Ce document institua le cadre juridique du Marché unique. Jacques
Delors renouvela son étroite collaboration avec l'ERT lors
de
la rédaction de son Livre blanc sur la croissance, la compétitivité et
l'emploi, approuvé par l'Union européenne en 1993. Les idées maîtresses
de ce rapport étaient la déréglementation, la flexibilité du marché du
travail, la compétitivité internationale et les investissements dans
l'infrastructure du transport. Pour ce dernier point, l'ERT a grandement
contribué à la mise en place du réseau transeuropéen (TEN). En
gestation depuis 1991, mais officiellement présenté en 1995, le TEN comprend
150 projets dont la réalisation ne doit pas dépasser 2010 et le
budget 400 milliards d'écus. Justifié par la création d'emploi, on
s'aperçoit vite qu'il ne fait qu'accélérer la centralisation, et augmenter la
pollution. Le nombre de kilomètres parcourus par les poids lourds à travers
l'Europe a augmenté de 30 % entre 1991 et 1996, alors que le chômage
augmentait dans les mêmes proportions sur la même période.
Le Livre blanc est un ensemble de propositions pratiques pour la Communauté reprenant les conclusions d'un débat préalable.
Le Livre vert précède et stimule
le débat en question. Il entame le processus de consultations au niveau
européen pour les sujets qui l'intéressent.
Etienne Davignon
Cumulateur de mandats...
On constate que des membres de l'
ERT comme
Etienne Davignon, président de la
société générale de Belgique,
Percy Barnevik (Investor),
Bertrand Collomb (Lafarge),
Paolo Fresco (Fiat),
Daniel Janssen (Solvay),
Peter Sutherland (Goldman Sachs
International, BP Amoco), étaient présent à la dernière réunion des
Bilderberg.
Certains naviguent entre les lobbies et le monde industriel, comme Peter
Sutherland qui fit un saut à la commission européenne avant de retrouver ses
responsabilités dans la sphère privée, ou
Etienne Davignon qui
a en été membre pour l'industrie entre 1977 et 1984.
L'UNICE
L'Union
des confédérations industrielles et
patronales européennes (
UNICE), fondée en 1958, est composée de 33 fédérations d'employeurs
provenant de 25 pays européens. Elle se veut l'interlocutrice officielle
de l'industrie
auprès de l'Union européenne. Elle fut présidée par
François
Périgot, ancien président d'Unilever France, aujourd'hui membre du
conseil de l'Association pour l'union monétaire (
AUME).
Stelios
Argyros, ex-vice-président de l'
UNICE et membre du Parlement
européen, fait partie de l'élite de la
Commission
Trilatérale, tout comme Mario Monti, commissaire au Marché unique
européen, et des membres de l'
ERT tel que
Paolo Fresco (Fiat) et
Daniel Janssen (Solvay). L'
UNICE est
actuellement dirigée par
George
Jacobs qui a travaillé successivement pour le Fonds monétaire
international et la compagnie pharmaceutique UCB Group en tant que président du
comité exécutif. Le secrétaire général actuel de l'
UNICE,
Dick
Hudig, fut au service de l'
ERT par l'intermédiaire de la
firme
ICI en liaison avec le gouvernement européen, et il coordonna un
groupe de travail sur les produits chimiques au nom de l'Europe dans le cadre
du
Dialogue sur le commerce transatlantique (
TABD). L'
UNICE est également en contact régulier
avec l'
AMCHAM.
« Notre
mission est d'influencer les
décideurs au niveau européen. »
Christophe de Callatäy, directeur de communication de l'UNICE en 1998.
Malgré un discours policé sur la protection de l'environnement, l'UNICE ne
rate pas une occasion de faire valoir les nécessités industrielles lorsque des
normes, à ses yeux toujours trop sévères, tentent d'être imposées. La
position de l'ex-secrétaire général de l'UNICE, Zygmunt Tyszkiewicz, sur la
proposition, formulée par l'Europe à Kyoto en 1997, qui consisterait à
réduire de 15 % les émanations de gaz carbonique pour 2010, se passe de
commentaires : "
L'analyse à la fois partiale
et simpliste de la Commission sous-estime beaucoup ce que cela coûterait
financièrement à l'industrie d'atteindre les objectifs de réduction des
émanations de gaz responsables de l'effet de serre 2".
C'est pour défendre ses positions, qui font passer le profit avant la vie, que
l'
UNICE dépêcha une délégation de neuf personnes à Buenos Aires, en
novembre 1998, pour la IV
ème Conférence des parties, consacrée à la
Convention sur le climat.
L'AMCHAM
Le
comité européen des Chambres américaines
sur le commerce
(
AMCHAM) est le représentant des multinationales basées aux États-Unis.
Il vit le jour dans les années 1970 et regroupe 140 entreprises dont Boeing,
Exxon, General Motors, McDonald's, Monsanto ou Protect & Gamble.
Commission européenne à Bruxelles
Les multinationales
de l'AMCHAM emploient plus de 3 millions de personnes en Europe.
En
1998, le groupe a publié 10 ouvrages, plus de 60 rapports sur les politiques
européennes et a pris part à environ 350 réunions avec la Commission et le
Parlement. Il a ses entrées au Comité des représentants permanents (COREPER),
groupe d'ambassadeurs des pays détenteur de la présidence de l'Union qui
prépare les décisions pour le Conseil des ministres. John Russel, qui était
directeur des Affaires européennes de l'AMCHAM en 1998, est conscient
du
basculement des pouvoirs : " La vraie volonté des compagnies de
traiter plutôt avec Bruxelles qu'avec les administrations et les institutions
politiques des quinze États membres va parfaitement dans la bonne direction ".
L'AUME
L'Union
monétaire européenne (
AUME) fut
créé à Paris en 1987 par 5 grandes firmes membres de l'
ERT : Fiat,
Philips,
Rhône-Poulenc (maintenant Aventis), Solvay et Total. Le premier
président de l'
AUME,
Wisse Dekker,
PDG de
Philips et président de l'
ERT (1988-1992), fut le personnage clef du
marché unique. Dans la
liste
des membres du conseil de l'AUME, on peut constater encore
aujourd'hui une imbrication avec des
membres
de l'ERT, la présence du président de l'
UNICE et de nombreux
organismes bancaires et financiers. Son objectif est par définition de mettre l'union monétaire et économique à
l'ordre du jour des réunions des États membres, en allant jusqu'à faire
pression pour obtenir un calendrier de mise en place bien défini.
L'
AUME a organisée plus de 1000 conférences et séminaires entre 1989 et l'an 2000, en se
concentrant sur les pays les plus réticents comme l'Allemagne où eurent lieu
90 réunions en 1997 et 1998.
Un livre vert sur les procédures de passage à la monnaie unique servit de
support au lancement de l'Union monétaire et économique au sommet de Madrid en
1995. Ce livre devait être élaboré, d'après la commission européenne, par "
un
comité d'experts indépendants ". Mais il se
trouve que sur les 12 experts réunis pour mener à bien le fameux livre,
on
ne trouvait qu'un seul représentant des associations de consommateurs pour trois
membres du conseil de l'AUME -
Philippe
Lagayette (Caisse des dépôts
et Consignations), Tom Hardiman (IBM Europe) et Etienne
Davignon,
président de la
société générale de Belgique, membre de l'ERT et président
honorifique des Bilderberg lors de la
réunion de juin 2000.
Europabio
L'organisation
est née en 1996 de la fusion du groupe de
travail de la CEFIC (fédération de l'industrie chimique), le
Senior Advisory Group on Biotechnology (SAGB), et du Secrétariat
européen aux associations nationales de la bio-industrie (ESNBA).
Au début des années 2000, leur site internet présentait le lobby ainsi: " Europabio
représente 40 multinationales et 13 sociétés nationales
(totalisant ainsi jusqu'à 800 PME) impliquées dans la recherche et le développement,
les tests, la fabrication et la distribution de produits de la biotechnologie. EuropaBio, la voix de
la bio-industrie européenne, vise à être un promoteur significatif des biotechnologies et
aspire à présenter ses propositions aux industriels, aux politiciens,
aux régulateurs, aux ONG, et au grand public. " En 2014, il parle de plus de 1 800 PME...
Dans les multinationales qui forment le groupe, nous notons la présence de
Bayer, Monsanto Europe, Nestlé, BASF, Aventis, Syngenta Seeds, Organibio,
Unilever, DuPont de Nemours International ou encore Hoffmann-La Roche LTD.
Alors que nous n'avons toujours pas le recul nécessaire pour évaluer les
effets à long terme des organismes génétiquement modifiés sur la santé et
l'équilibre écologique, les biotechnologies étaient déjà au coeurs des
orientations stratégiques européennes, aussi bien dans le Livre blanc de Delors en 1993 que dans le " Pacte de confiance " de Santer en
1996. Dans le premier document on pouvait lire que la réticence du publique
envers les biotechnologies reflétait simplement son " hostilité envers
la technologie et l'inertie sociale ". L'agence de relation
publique Burson-Marsteller entra en jeu en 1997. Son travail était d'apaiser
les craintes du publique vis-à-vis des nouvelles biotechnologies et de faire
pression sur les décideurs politiques européens. Communications Programmes
for Europabio qui était le titre du rapport de cette agence nous expliquait
que " la présomption (pour la bio-industrie) de
n'obéir qu'à des motifs lucratifs détériore fatalement la crédibilité de
l'industrie sur tous ces points (environnement, santé) " et que
les industriels devaient donc rester dans l'ombre pendant que les personnes " les
plus aptes à capter la confiance publique dans ce domaine -
les politiciens et les législateurs " se chargeraient de " garantir
au public que les produits biotechnologiques ne sont pas dangereux ".
Comme si ils ne suffisaient pas aux politiques d'être les marionnettes du lobby
génétique, ils se sont permis en 1998 d'autoriser en notre nom les entreprises
représentées dans le Forum pour la coordination de la bio-industrie
européenne (FEBC) à breveter les gènes, les cellules, les plantes, les
animaux, les organes humains et les embryons génétiquement modifiés ou clonés.
Le rapport de la Banque mondiale de la même année dénonçait déjà la multiplication de droits de propriété privée dans de nombreux domaines de la santé et de la médecine, dans
lesquels le rendement social est très important. Le brevetage du vivant ne va
faire qu'accentuer ce droit de propriété privé. Le risque majeur est que
lorsque le bénéfice social (la guérison de million de personnes) ne coïncide pas avec le bénéfice privé (ces personnes ne sont
pas solvables), et bien l'entreprise décide de ne pas mettre en application ses
découvertes. La privatisation du vivant ne pose pas seulement un problème de
rendement de la recherche, comme le mettent en avant les multinationales, mais
surtout un problème d'équité entre les générations et les
populations.
La logique de l'absurde
Les premiers maîtres mots de ces mentors sont "
évaluation
comparative " qui se traduit d'après les documents de l'
ERT par "
scruter
le monde afin d'y découvrir ce que les autres ont de meilleur, où que ce soit,
pour ensuite essayer de l'égaler ou de le surpasser3". La
compétitivité se trouve donc institutionnalisée, et les politiques mises en
oeuvres doivent faire en sorte de faciliter cette orientation.
Conseil de l'Europe à Bruxelles
David Wright, le conseiller du président Jacques Santer, confirma cette
position en 1996 : « Une grande partie de l'élan et de la substance
même de la proposition d'évaluation comparative provient du travail originel
de l'ERT - avec l'appui ultérieur du CAG. Je tiens à dire à quel point il me
semble important que la Commission continue de recevoir de telles idées "
pionnières " et tournées vers l'avenir, qui peuvent réellement aider
l'orientation des politiques à améliorer la compétitivité de l'Europe. »
Le second maître mot est "
innovation " qui est un
constat sur la société actuelle. A peine un produit est mis sur le marché
qu'il est déjà remplacé par un autre qui est généralement moins cher et
plus performant. La dépréciation et le remplacement sont deux idées qui
doivent être familières non seulement au consommateur, mais aussi au
gouvernement, à l'entreprise et à ses employés. Les Européens devront faire
preuve de
souplesse dans le milieu professionnel
afin de s'adapter aux besoins
changeant d'une industrie soumise à une concurrence débridée, sous peine
d'être les victimes de ce basculement. Les autres termes évoquant le prix à
payer pour garder son emploi face à cette économie du changement continu sont "
l'éducation
permanente ", l'
adaptabilité, la
flexibilité ou au pire la
mobilité.
L'
ERT va encore plus loin quand elle affirme que
« La
déréglementation et l'évaluation comparative se sont révélées être les
moteurs très efficaces des actuels processus de libéralisation de l'économie,
de déréglementation et de modernisation des institutions qui régissent
l'investissement industriel privé3. »
Cette fuite en avant
de l'économie libérale soutenue par l'ERT est
paradoxale dans le sens où les gains de productivité se voient sapés par la brièveté
de la vie du produit. L'entreprise se voit alors obligée d'investir dans une
technologie plus performante lui permettant d'accroître encore plus ses gains
de productivité. Alors le cercle vicieux de l'innovation s'emballe, motivé
par la concurrence et l'évolution comparative.
« Quand
le rythme du changement s'accélère
et devient l'activité économique dominante, les institutions et mécanismes
traditionnels ne permettent plus de contenir l'explosion des coûts de toute
nature qui sont liés à l'impact du changement sur les organisations. »
Dominique Foray, économiste.
La mobilité du salarié peut aussi être préjudiciable à
l'entreprise à deux niveaux.
- Sur le plan humain, l'ensemble
d'hommes et de femmes qui composent l'entreprise est assimilable à une
famille. Et le licenciement, pour des problèmes de rentabilité, est toujours
incompris et assimilé à une trahison. A la longue, l'employé devenu
itinérant aura de plus en plus de mal à s'investir dans un métier, dont il
sait qu'il changera fréquemment, et dans une entreprise qui ne le considère
plus comme un investissement à long terme mais comme un outil polyvalent
substituable à volonté. Je ne vois pas comment le milieu ouvrier peut accepter
une telle déconsidération sans que, tôt ou tard, il n'y ait une réaction. Le
problème auquel nous allons devoir faire face ne se s'arrête pas aux portes de
l'entreprise, mais se diffuse dans un mal être général d'une société qui, après
la chute du spirituel, se voit confronté à un nouveau problème : la chute du
professionnel.
- Sur le plan économique, la mobilité
des employés est aussi préjudiciable pour l'entreprise au niveau de ce que
l'on appel sa connaissance tacite, ou plus prosaïquement, le savoir-faire du
personnel. Cette caractéristique difficilement quantifiable apparaît souvent
mieux par défaut lorsque l'on est obligé de pourvoir d'urgence le poste d'une
personne qui est amenée à quitter l'entreprise rapidement. Bien qu'un temps
d'adaptation soit nécessaire au remplaçant, il se peut que l'entreprise ne
renoue jamais avec la productivité atteinte grâce au savoir-faire du prédécesseur.
Cette baisse de productivité se traduit donc par un coût.
Les lobbies prônent une politique de court terme, motivés par les fluctuations
des cours de la bourse. L'augmentation du turn-over et la précipitation innovatrice
qu'engendre l'économie libérale pourraient bien accroître dangereusement les
risques de "
désinvention " à long terme. Les équipes
de recherches passeraient alors leur temps à essayer de retrouver les
compétences perdues pour optimiser leur production, plutôt que de l'investir
dans la découverte de nouvelles connaissances.
Lorsque l'on constate l'influence que l'ERT a
sur la Commission et l'intérêt réciproque que lui porte cette dernière, on ne peut être
qu'inquiet devant cette apologie du marché libre mondial déréglementé. L'un
des effets secondaires de ces positions extrémistes est la minimisation des
normes sociales et environnementales qui sont considérées comme des obstacles
au commerce plutôt que comme des nécessités vitales. Là encore, l'action des multinationales trahie
leur appel du pied incessant vers un marché qui ne jure que par une large
croissance de leur chiffre d'affaires, et ce dans une période de temps très
limitée. Pourtant, la pérennité des entreprises, même
celles en tête de liste à l'ERT, ne pourra être assurée si leur stratégie
se limite à la satisfaction des actionnaires. Si tant est qu'il y est des
gagnants dans cette course à la rentabilité, seules les
multinationales du type de celles qui sont représentées par l'ERT seront
en mesure de tirer leur épingle du jeu.
Les interconnexions évidentes de
l'UNICE avec l'ERT et l'AMCHAM s'expliquent par le fait
que les objectifs sont les mêmes comme les dévoile Keith
Chapple, directeur du marketing chez Intel et président de l'AMCHAM pour l'UE :
« L'Europe va de plus en plus se trouver en
concurrence avec les pays en développement qui constituent des bases
alternatives attirantes pour l'industrie... Pour être compétitive, l'Europe
doit être souple, se débarrasser des coûts inutiles et faire preuve
d'ouverture dans ses relations commerciales4. »
Autrement dit, nous
sommes face à un message unique qui fait
l'apologie de la flexibilité, de la déréglementation, et de la libre
concurrence. La mise en place au travers des institutions européennes de cette
logique se fait par l'intermédiaire de loi, de principes d'usages qui ont
étés entérinés au sein de l'Union européenne. La jurisprudence de la Cour
européenne de justice se voit aussi influencée par cette façon de penser
l'Europe. Le problème principal est que un " acquis communautaire "
est en train de se mettre en place, et que le droit communautaire primant sur le
droit national, tous les acteurs vont devoir se plier, de grés ou de force, à
une politique instaurée par des organismes qui n'ont aucune légitimité
électorale.
________________________
Sources :
(1 Climat Change : An ERT Report on Positive Action, Bruxelles, avril 1997.
(2 While UNICE Attacks Plan From Inside, ENDS Environment Daily, 23 octobre 1997.
(3 ERT, Benchmarking for Policy Makers : The Way to competitiveness, Gromth and Job Creation, Bruxelles, 1996.
(4 European Voice, 30 avril 1998.
L'économie de la connaissance, Dominique Foray, Édition La Découverte, 2009.
EUROPE INC., Les liaisons dangereuses entre les
institutions et les milieux d'affaires européens, Agone Éditeur, 2000.
Adresses Internet des Lobbies présentés :
ERT : http://www.ert.eu/
UNICE : http://www.unice.org/
AMCHAM : http://www.eucommittee.be/
AUME : http://fr.wikipedia.org/wiki/Association_pour_l'union_mon%C3%A9taire_de_l'Europe
EUROPABIO : http://www.europa-bio.be/
Tous les autres lobby, à savoir plus de 6 000 organisations à fin 2013: http://ec.europa.eu/transparencyregister/info/homePage.do?locale=fr