Le fabuleux destin
des Globophages

 

Le fabuleux destin d'Amélie PoulainJe n'ai jamais eu autant de réactions ulcérées que depuis le jour où j'ai mis en ligne mes réflexions sur le film Le fabuleux destin d'Amélie Poulain. C'est certainement par masochisme que je poursuis ma critique, non pas du film, qui en tant qu'oeuvre d'art est excellent, mais du message plus ou moins subliminal qu'il cache. Nous avons bien vu que le personnage d'Amélie est celui d'une manipulatrice qui laisse libre cours ses névroses pour chercher faire le bonheur des gens malgré eux. On ressort de la projection avec une immense envie d'aimer la vie1 , ne se doutant pas que, subrepticement, le schéma que la trame scénaristique abrite, et auquel on associera inconsciemment l'idée de plaisir, continu de faire son oeuvre.


La propagande

La finesse du film  Le fabuleux destin d'Amélie Poulain  est de paraître contre-courant des vies que nous menons généralement dans nos sociétés dites modernes. En effet, il vrai que la majorité des gens plonge dans le stress de la vie active, et ne prend plus le temps de laisser libre court à ses émotions et ses sentiments.

A contrario, et ce pendant tous le temps que dure le film, nous voyageons dans le monde d'Amélie qui sait profiter du temps présent et qui se met en quête d'une des dernières valeurs qui nous reste dans notre monde civilisé, l'amour. Mais ce n'est pas parce que le film est agréable à voir qu'il faut s'interdire de se poser des questions sur le fond, et ce, surtout lorsque l'oeuvre draine en masse des spectateurs dans les salles obscures, augmentant d'autant plus son éventuelle influence psychologique.

La propagande se définit comme une action exercée sur l'opinion pour faire accepter certaines idées ou doctrines, notamment dans le domaine politique et social. Dans le milieu cinématographique, celle-ci fut mise en place pour servir l'Etat sous le régime Nazi, ou l'industrie d'Hollywood3.
L'une des techniques employées à une période du cinéma Hollywoodien fut celle des gros plans. Cette dernière contribue à renforcer les sentiments d'individualisme. Par transposition, l'individu ainsi mis en avant pense prendre sa vie en main et se met en quête du bonheur.

Le fabuleux destin d'Amélie Poulain, qu'il ait été fait ou non dans l'optique d'avoir un effet sur une population visée, se trouve exploiter les mêmes ressorts encore plus directement. En effet, la quête du bonheur est le but du personnage principal, l'objet même du film.

Mais, dans le monde réel, les tentations dépensières sont plus nombreuses que les flèches de Cupidon, et les sirènes de la vanité auront vite fait d'induire en erreur l'inquisiteur. Comme ces sirènes sont le fruit de la même société de marché qui a produit l'oeuvre cinématographique qui aura su séduire le spectateur, on ne peut qu'imaginer que l'oeuvre suive la logique de marché en induisant un retour sur investissement. Le lapin spectateur, les yeux rougis par le contraste entre le flot de bonheur qui l'a affriolé dans la salle obscure et l'avalanche de biens matériels à laquelle il doit faire face à sa sortie, aura vite fait de se précipiter vers les lumières aveuglantes de la Déesse consommation qui se verra être l'objet du transfert. Le spectateur se doit d'avoir une féroce maîtrise de soi pour ne pas effectuer ce transfert libérateur. Il devra être assez fort pour ne pas se laisser aller à cette solution de facilité, et être prêt à patienter plusieurs années pour suivre la démarche qu'Amélie a réalisé devant ses yeux en moins de deux heures.

Maintenant il faut se rappeler l'effet de masse que nous avons décrit plus haut et l'ajouter à la quête individuelle. Nous obtenons alors une individualisation qui sert l'uniformisation d'un peuple multiéthnique en perte de repères, qu'il s'agisse de valeur ou de religion, vers un idéal qui se veut être un mélange d'indépendance et d'ingérence. Le retour sur investissement n'est pas seulement financier, il est aussi social puisqu'il érige en mythe un comportement libéral et interventionniste, concepts fondamentaux de la nouvelle économie régulée.


Une ingérence bienvenue

OMC à Doha
Les attentats du 11 septembre n'ont pas été sans influer sur la décision prise par l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le mercredi 14 novembre à Doha, au Qatar, consistant à lancer un nouveau cycle de négociations commerciales internationales. La déclaration finale parle de poursuivre le processus de réforme et de libéralisation des politiques commerciales, faisant ainsi en sorte que le système joue pleinement son rôle pour ce qui est de favoriser la reprise, la croissance et le développement4.

C'est pourtant une libéralisation à plusieurs facettes qui est défendue dans la réalité par cette même organisation. En effet, on assiste fréquemment à l'ingérence de l'OMC qui se veut l'arbitre des différents économiques internationaux par le biais de l'ORD (Organe de réglement des différents). Seulement cette cour de justice est généralement plus favorable aux pays riches puisque ces derniers disposent des meilleurs experts plaidant leur cause et de moyens de pressions économiques, voir militaires, si le besoin se fait sentir d'être plus convaincant.


« La mondialisation du commerce et des investissements a réduit l'indépendance des gouvernements. »
Peter Sutherland
Président de Goldman Sachs International ancien directeur du GATT - Le Monde, 7 août 1998



La libéralisation se définie différemment suivant que l'économie est plus ou moins déstabilisée par des évènements périphériques. Elle peut être totale quand tout va bien, mais plus interventionniste quand la bonne santé économique des pays développés n'est plus au rendez-vous.

Alan Greenspan de la réserve fédérale américaine, et Wim Duisenberg de la Banque centrale europenne, ont eu vite fait de laisser au placard les principes d'auto-régulation du marché, dans des proportions diffrentes. Les attentats, en plus d'avoir ébranlé des édifices symboliques, risquaient de mettre à bas une fragile stabilité monétaire internationale par un effet de panique boursière, et ainsi de faire capoter la machine économique globophage. Paradoxalement, la baisse des taux d'intérêts et les déclarations rassurantes des bailleurs de fonds furent la preuve que l'interventionnisme était nécessaire pour sauver le libre-échange!

Mais l'interventionnisme, sous couvert économique, peut aussi avoir des intérêts politiques.

Ce fut le cas lorsque le premier prêt de la Banque mondiale à destination de la France avait été retardé sous la pression américaine jusqu'à ce que les communistes quittent le gouvernement de De Gaulle5.

Ce fut aussi le cas plus récemment lors de l'affaire Mark & Spencer6. Pour maîtriser le taux de chômage, le gouvernement a préféré bloquer la liquidation initiale et les indemnités avantageuses qui l'accompagnaient. Seulement il se trouve que la solution gouvernementale du repreneur n'avantage pas les salariés. Si les médias ont été prolixe sur l'infamie que constituent les licenciements, ils se sont fait plus discrets sur l'ingérence politique qui consiste à maintenir des statistiques7 à l'aune d'échéances électorales, quel qu'en soit le coût humain.

Nous ne devons pas nous satisfaire de l'intervention excessive et maladroite d'un Etat ambulancier, qui nous force à nous contenter de ce qu'il nous octroie. Cet aumône ne doit pas exonérer les politiques de leur responsabilité passée, tous gouvernements confondus, quant à la situation actuelle. 

Si l'on part de l'hypothèse que la libéralisation se doit d'être régulée pour être moins injuste, on ne peut qu'avoir de l'espoir quant à la tournure que pourront prendre les événements. Néanmoins, comme nous l'avons vu, cet interventionnisme peut avoir des visées bien moins nobles que celles que l'on veut bien lui prêter. Une société en évolution devrait instaurer un système dont le but ultime serait de servir toutes ses composantes. Mais il se trouve que ce sont les individus qui existent pour servir le système. Certains voient dans ce nouveau type d'économie la mise en place d'une logique colonialiste dans l'organisation de la société.


Un laisser-faire sélectif

Mais comme toute règle comporte une exception, il arrive que, dans leur immense sagesse, les rois du monde laissent faire les lois naturelles du marché. Les circuits financiers parallèles et les paradis fiscaux sont l'objet de cette absolution. Cette cécité sélective nous fait nous poser des questions sur les réelles intentions des décideurs, si prompts à intervenir dans d'autres domaines tout aussi complexes. Paul O' Neil, ministre des finances américain, considère que l'idée de sanctionner les centres financiers off-shore s'assimile à une ingérence non souhaitable8.


« L'économie criminelle représente aujourd'hui une part considérable de l'économie globale. Elle fait vivre aussi l'économie légale. Quoi qu'on prétende, il est indispensable de la ménager si l'on veut éviter que tout l'édifice ne s'écroule. En bref, l'économie légale s'est criminalisée, l'économie criminelle s'est donné l'apparence de la légalité, et les paradis bancaires et fiscaux sont au coeur du dispositif où se concoctent ces étranges mutations croisées. »
Le juge Jean de Maillard
dans Finance internationale: l'envers du décors,
Politique Internationale, n°91, printemps 2001.


On traque les fonds et les réseaux financiers qui ont contribué aux attentats du 11 septembre, mais on ne remet pas en question le système qui permet ces dérives. Les sociétés écrans et le secret bancaire survivront à la chute des Twins Tower.

 

Sécurité
Si l’on avait l’esprit mal placé on pourrait supputer que les responsables politiques et économiques laissent juste assez de désordre pour justifier la montée en puissance d’une politique sécuritaire, nous amenant à accepter des mesures d’exceptions que nous ne devrions pas tolérer dans des pays qui se veulent les chantres de la liberté.

Si jamais le système économique dans lequel on nous précipite n’est pas le bon, il pourrait nous venir à l’idée de manifester notre mécontentement envers ceux qui sont censés s’occuper de la cité. Toutes les mesures sécuritaires (cameras de surveillances, augmentation des effectifs, loi sur la sécurité quotidienne visant entre autres, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, à faciliter la fouille des véhicules et les perquisitions, et à renforcer les contrôles de sécurité) plus ou moins temporaires et édicter pour nous protéger, servirons peut-être alors à protéger un système qui est loin de satisfaire les besoins qu’il crée.


Conclusion


« (...) affirmer que l'on est parvenu à un accord dans l'équilibre entre libéralisation des échanges et régulation de la mondialisation est un sophisme de première grandeur qui préfigure, à l'échelle de la planète, la mise en place d'un carcan à partir duquel ceux qui se seront ainsi autoproclamés juge et partie pourront alors imposer leur vision du bonheur des peuples sans que ces derniers puissent, de quelque manière que ce soit, préserver leur libre arbitre afin de choisir par eux-mêmes la meilleure voie possible leur propre développement. »
Philippe ROBERT
L'OMC est-elle foncièrement libérale ? - http://www.conscience-politique.org/


Certains m'ont affirmé qu'il ne voyait aucune démagogie9 dans Le fabuleux destin d'Amélie Poulain. C'est certainement parce que l'individualisme et l'ingérence sont prônés de façon habile et inoffensive. L'amour, le bonheur, les sensations agréables cachent un schéma pernicieux qui reste dans notre subconscient. Finalement ce film incite chacun d'entre nous à se méler de ce qui ne le regarde pas, à l'interventionnisme dans les affaires des autres, au droit (quel droit ???) d'ingérence. Il nous autorise à penser qu'il suffit de prendre sa vie en main, et éventuellement celle des autres, pour que s'ouvrent les portes du bonheur. Mais chacun sait, bien que cela aide, qu'il ne suffit pas toujours de positiver pour être heureux car nous ne sommes que des éléments isolés soumis à de multiples influences. Par contre il est reconnu que la déprime n'est pas l'amie de la croissance économique.

Si Le fabuleux destin d'Amélie Poulain ne vous ouvre pas le sentier de l'amour, il aura au moins eu le mérite de relancer la consommation par le transfert dont certains auront pu être l'objet. Mais aussi et surtout, il entretient l'outrecuidance déjà excessive des membres de la société occidentale vis-à-vis d'un modèle qui ne sert réellement qu'une infime partie de la population des pays qui l'imposent. Il ne s'agit pas d'opposer notre soi-disant démocratie libérale régulée au régime des Talibans, mais de poursuivre notre recherche d'alternative, recherche antérieure au 11 septembre.



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Sources :

[1] Fabienne Bradfer, Le Soir, 25 avril 2001

[3] Sur l'hégémonie hollywoodienne (II), Cinéma hollywoodien et idéologie, Par Bruno Cornellier. http://www.cadrage.net/dossier/hegemoniehollywoodienne2/hegemoniehollywoodienne2.html

[4] OMC : accord pour lancer un nouveau cycle de négociations commerciales, Le Monde, 14 novembre 2001

[5] Alternatives Economiques, n°197, novembre 2001, p 11

[7] Malgré tout en chute depuis 6 mois l'heure ou j'écrit cet article - novembre 2001

[8] Alternatives Economiques, n°197, novembre 2001, p 9

[9] Démagogie : Attitude par laquelle on cherche à gagner la faveur de l'opinion publique en la flattant, en excitant les passions populaires.




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